Abécédaire
A
Majestueux portail,
Chas de l’aiguille par laquelle
On enfile les perles
Du collier
Qui me donne l’alphabet.
B
J’en reste bouche bée.
Tes ronds sont rose bonbon.
En te voyant je redeviens un bébé.
C
Cerbère de l’alphabet
Crochet acerbe,
Croc redouté
On pique de ta boucle les fesses des jolies voyelles.
Ce détour par dessus la barre
Ne donne guère de fil à retordre.
Demi tour, droite.
Je te veux
Grâcieuse
Et radieuse, glorieuse voyelle.
Légère comme une mousseline
Tu es la rime féminine.
F
Tu files l’air
De la fugue
On te siffle
Et tu fuis la fange des lourdes consonnes.
G
Tu tombes goutte à goutte,
Tu boucles,
Tu glisses sur la ligne
D’en dessous.
Tu agaces le a, tu englues le u,
Tu es la garce qui fait des grâces.
H
Tu chus ici pour hacher
Notre franc parler.
Que tu lèves les bras au ciel
Ou que tu plantes des deux jambes dans le texte,
C’est toujours du gâchis
Quand la femme de l’archi-duc
A froid aux pieds.
I
Ce n’est pas sérieux
Une lettre avec une tête comme un pois-chiche,
Un cerveau tout riquiqui.
Tu fais siffler les T en leur faisant guili guili
Toi, la voyelle qui mouille les L des abeilles,
Que serait notre vie
Sans ta petite baguette magique ?
J
Petit ver accroché à un bouton
Tu joues à te tortiller
Sous la ligne de flottaison.
Tu finiras bien par remonter
Sur le fin tracé du crayon.
K
Y avait qu’à pas le montrer du doigt,
Le kappa n’en serait pas là
Avec sa jambe cassée.
Le poing sur la hanche,
Il claudique jusqu’à sa belle.
Tes ailes, à l’horizontal, à la verticale
T’élèvent dans le ciel majuscule.
Par monts et par merveilles se meuvent les émois,
Les amants se donnent la main, maman tient son marmot,
Tout le monde sait que tu aimes les mots.
Ne nie pas que tu piques en haut
Tu piques en bas,
Tu gesticules, t’élances par ici
Et reviens par là.
On parle avec respect de cet olibrius là
Qui vogue sur l’onde
Des poèmes à flonflons.
Voyelle qui tourne en rond,
Nous explorons le blanc de ton oeil
Espérant que du micron
Tu nous emmènes à l’oméga.
« Plop », ainsi sort la bulle
Du tuyau
Et s’approche, pulpeuse,
La plus palpitante des consonnes.
On croquerait bien dans cette petite pomme.
Etonnante lettre.
Avec le u elle fait équipe,
Sinon, elle n’est plus qu’un rond qui pique.
Quelles que soient tes rondeurs,
Tu te donnes toujours de grands airs
Perché sur tes ergots.
Tu roules, tu doubles, tu fais l’intéressant,
Qu’est-ce que tu peux être rasant.
Tu t’insinues sournoisement
Ou tu t’estompes silencieusement.
Tu as plus d’un tour dans ton sac
A sornettes, tu es aussi pluriel que singulier,
On ne sait plus
Dans quel sens
Tu susurres
Qu’on te pense.
Es-tu un, es-tu deux ?
Dieu de l’équilibre
Selon les tables de ta loi
Tu tries ceux qui en toi croient
Et ceux qui ne veulent pas,
Ceux là se balancent
A ta terrible potence.
Aigu ou pointu,
Ta courbe
Unit les amis
Qui se disent tu.
Tu t’évases,
Tu arrondis les angles de la vie.
En versant des rêves
Sur nos nuits,
Tu viens voir les voeux.
« Vive la vie »,
Tous crient de joie
Et lèvent les bras
Quand ils te voient.
Quand on se croise
On se multiplie,
A deux on fait un inconnu
Qui marque le bas de la liste
De sa croix.
Il y a dans ce déhanchement
L’enivrante montée
Vers un triangle
Où se perdent des vertiges insensés.
On boit dans cette coupe
Le philtre mystérieux
Des hydres hybrides.
En un zigzag vigoureux
Tu paraphes d’une pointe acérée
La liste qui zigouille
Les zespérances
Des zéros de l’alphabet.